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Le grand orgue de la Basilique Saint-Michel
Les sources d'archives laissent à penser qu'il y avait déjà un orgue dans l'église Saint-Michel vers 1425. Mais nous ne savons rien de cet instrument. Plus tard, en 1490, on construit un orgue au-dessus du grand portail : il sera entièrement reconstruit par un facteur nommé Louis Gaudet, dont on conserve aujourd'hui le devis (peut-être le plus ancien de France !). On travaille encore sur cet instrument vers 1510, puis il est refait (relevé ?) en 1575. C'est donc cet instrument qui va être relevé en 1648 : ce relevage est l'oeuvre de Claude Dupré, d'Agen, qui agrandit l'orgue en ajoutant trois jeux d'anches et un cornet. Au milieu du XVIIe siècle, en 1666, cet orgue est à nouveau relevé par Jacques Levasseur, de Nantes.
En 1730, les moines de Sainte-Croix se mettent à la recherche « d'une orgue allemande » pour remplacer l'instrument de Jean Haon qu'ils jugent insuffisant, en place dans le transept de l'église abbatiale depuis 1661. Est-ce la concurrence liturgique toujours vive entre les deux grands lieux de culte du sud de la ville qui pousse les fabriciens de Saint-Michel à se préoccuper de l'état de leur instrument ? En 1732, ils le confient à Adrien Lépine pour un nouveau relevage. D'origine picarde, installés dans le Midi, les Lépine se sont fait un nom dans la facture d'orgue. Adrien vient - entre autres travaux - de refaire l'orgue de Saint-Jean-de Luz (1724). Son neveu est le célèbre François Lépine, élève de dom Bedos, qui va construire l'orgue de la cathédrale Saint-Sacerdos de Sarlat en 1750.
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L'arrivée de dom François Bedos à Sainte-Croix redonne cependant l'avantage aux bénédictins (curés primitifs de Saint-Michel, on s'en souvient). Ils font construire dans leur église le plus bel orgue de Bordeaux qui se fait entendre dès 1748. Les fabriciens de Saint-Michel ne peuvent qu'affronter le défi. Relevé à trois reprises, plusieurs fois agrandi, l'orgue de Gaudet est devenu indigne de cette fière église où se pressent les riches confréries des nombreuses corporations. La Fabrique compte alors ses sous, et décide de s'offrir un instrument neuf.
En 1760, les fabriciens passent donc contrat avec Jean-Baptiste Micot, issu d'une famille de facteurs de Lyon, installés à Toulouse, qui s'engage à fournir un orgue de 35 jeux, répartis sur 4 claviers et pédalier. L'instrument est terminé en 1765 (20 après celui de Sainte-Croix), alors que J.-B. Micot entame un nouveau chantier, pour l'église abbatiale Saint-Pierre des bénédictins de La Réole. Perché sur sa tribune aux pilastres ioniques, c'est celui dont nous pouvons toujours admirer le buffet aux atlantes, construit en 1762 par les sculpteurs ornemanistes Cessy et Audebert. On s'accorde généralement à penser que les orgues des frères Micot n'avaient pas la puissante sonorité qui avait fait la réputation de dom François Bedos. C'est pourquoi, dès 1774, Jean-Baptiste Micot dut modifier son orgue et en refaire l'harmonie car on le jugeait insuffisant pour le vaisseau de Saint-Michel. Ce qui n'avait pas empêché les chanoines de Saint-Seurin (piqués de jalousie ?) de s'adresser au même Micot pour leur construire un grand orgue que le facteur toulousain avait terminé en 1770, dans un buffet sculpté cette fois par Cessy et Cabirol.
Après avoir traversé la Révolution sans trop de dommages (d'autres orgues girondines - dont ceux de la cathédrale et de La Sauve Majeure - ont complètement disparu à ce moment) l'instrument de J.-B. Micot est confié en 1827, au facteur bordelais Nicolas Henry : ce dernier en fait une restauration et l'agrandit, tout en conservant l'essentiel de l'oeuvre de Micot. C'est l'époque où le catholicisme bordelais va connaître une véritable renaissance, sous l'action des trois grands prélats du XIXe siècle que sont successivement Monseigneur d'Aviau, Monseigneur de Cheverus et Monseigneur Donnet. Grandes et petites églises du diocèse font peau neuve, et notamment, les grands monuments bordelais. Le choeur de Saint-Michel est sauvé de la ruine par l'architecte Charles Burguet (1859) et son confrère Paul Abadie redonne à la tour la fierté de sa flèche retrouvée (1861). La liturgie romaine impose ses fastes, ses vitraux, son mobilierÉ et sa musique. Le conseil de fabrique se met à rêver d'un orgue neuf pour remplacer l'instrument essoufflé de Micot.
Installé à Bordeaux en 1848, le facteur Georges Wenner construit ou « romantise » des instruments à tout-va dans la ville : Saint-Nicolas (1849), Saint-Paul (1850), Saint-Seurin (1855), Saint-Eloi (1858), Saint-Bruno (1860), Saint-Amand (1862). Le grand Aristide Cavaillé-Coll ne réussira jamais à vendre un orgue d'église à Bordeaux ! Exception bordelaise remarquable : Wenner va manquer le marché de l'orgue de Saint-Michel. Les paroissiens, artisans et ouvriers dont l'activité contribue largement au renouveau de la fortune maritime et vinicole de leur ville, veulent montrer que la modestie de leur condition est inversement proportionnelle à leur fierté. Le conseil de fabrique voit grand : il veut un orgue neuf, dans un buffet neuf, sur une tribune neuve, et fait le choix insolite du facteur Joseph Merklin pour concrétiser leur attente.
Joseph Merklin (1819-1905) est un facteur d'orgue allemand 3. Il apprend d'abord le métier chez son père. Il travaille par la suite comme contremaître dans la maison Korfmacher qui l'envoie en Belgique, où il s'établit à son compte en 1843, avec son beau-frère Schütze pour associé. En 1855, il achète la manufacture parisienne Ducroquet (qui a succédé à Daublaine et Callinet) alors en faillite. C'est donc à la maison Merklin-Schütze que la fabrique de Saint-Michel passe commande. Néanmoins les honorables membres du conseil de fabrique ont les yeux plus grands que le ventreÉ Et c'est ainsi que le dur principe de réalité va sauver la tribune du XVIIIe siècle, et le buffet de Cessy et Audebert, que l'on conservera pour réduire la dépense. J. Merklin va devoir cependant transiger en sacrifiant le positif de dos : celui dont on arrête la composition est trop important pour entrer dans le petit buffet qui surplombe la grande porte, et par-dessus tout, l'organiste titulaire, Andrieu, tient à avoir une console moderne, à la mode, face à la nef.
Entre 1865 et 1869, Joseph Merklin construit donc un grand instrument de 39 jeux, sur 3 claviers et un pédalier, en conservant quelques jeux anciens de Micot. La façade du positif n'est plus désormais qu'un décor qui dissimule la console. L'orgue est inauguré le 12 décembre 1869, par les organistes Adolphe Mailly, Renaud de Vibrac et le titulaire Andrieu. En 1882, J. Merklin effectue un dépoussiérage et monte l'accord d'1/4 de ton. Dix ans plus tard, Gaston Maille démonte, nettoie et révise l'ensemble de l'orgue en modifiant la mécanique, sans toucher à l'harmonie. Au début des années 1930, le facteur Puget installe un ventilateur électrique, puis en 1935 la maison Gloton-Debierre, réalise quelques travaux en ajoutant deux jeux, et surtout en tentant de résoudre les problèmes d'alimentation en vent. Le bombardement de 1944 ne souffle pas seulement les vitraux ; il ébranle l'édifice en entier et l'orgue en particulier. Une restauration « à l'économie » est faite en 1961 par la maison Schwenkedel, qui ne bouleverse pas fondamentalement l'esthétique de l'orgue, mais remplace les transmissions mécaniques des notes par un système électrique. Il ne faudra attendre que quelques décennies pour que le nouveau système arrive à bout de souffle, provoquant même un début d'incendie dans la console ! C'est ainsi que Patrice Bellet et Franz Lefèvre effectuèrent quelques petites réparations entre 1999 et 2007 pour maintenir en état de marche un orgue en très mauvais état général.
Au bout du compte, l'orgue Merklin-Schütze démonté en 2008 n'avait pas subi d'outrages irrémédiables quant à son matériel sonore. La rareté des instruments de ce facteur en Aquitaine - Bordeaux possède un autre Merklin, plus tardif (1892), celui du séminaire interdiocésain - la qualité des matériaux employés et de la facture de Joseph Merklin, étaient des arguments puissants pour justifier les partis pris esthétiques et techniques de restauration. Les objectifs arrêtés étaient un retour à la configuration d'avant guerre, une reconstruction de la mécanique de notes, et une re-conception de l'alimentation en vent. Le buffet devait être remis en teinte et en or afin de se rapprocher de ses couleurs d'origine, tout en préservant les diverses couches trouvées sur les endroits non décapés dans les années 1960. L'ensemble des opérations de restauration a été confié à un groupement d'entreprises constitué par Olivier et Stéphane Robert (pour la mécanique particulièrement), Alain Léon (pour la console), Bernard Hurvy pour l'ensemble de la partie sonore (sommiers et tuyauterie), Michel Jurine pour les plans et Pascal Quoirin pour le buffet.
Maître d'oeuvre : Thierry Semenoux
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